La demande de monnaie selon John Maynard Keynes. (Sciences économiques)
L’approche Keynésienne (ou approche intégrative) rompt avec l’analyse dichotomique et considère à l’inverse de l’approche traditionnelle (classique ou néo-classique) que la monnaie exerce des effets importants et durables sur variables réelles (monnaie active).
La demande de monnaie selon John Maynard Keynes
Dans son ouvrage intitulé la « Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie », John Maynard Keynes (1883-1946) marque une rupture majeure avec l’analyse de la plupart des auteurs qui l’ont précédé, c’est pourquoi l’on parle souvent de « révolution Keynésienne ».
- Les motifs de la préférence pour la liquidité
Pour Keynes la monnaie n’est pas uniquement comme l’avançait Jean Baptiste Say la « simple voiture des produits », c’est-à-dire un simple instrument de règlement des échanges, elle est également recherchée pour elle-même.
En effet, pour Keynes, les agents économiques peuvent renoncer à une consommation immédiate et constituer une épargne en choisissant la forme sous laquelle ils veulent la conserver : soit sous forme de monnaie, soit sous forme d’obligations à taux fixe.
Une partie de l’épargne sera donc gardée sous forme monétaire et une autre sous forme d’obligations. La part de l’épargne gardée sous forme monétaire représente la préférence des agents économiques pour la liquidité.
La préférence pour la liquidité est un concept Keynésien selon lequel les agents économiques préfèrent la liquidité aux autres formes de richesse. La préférence pour la liquidité représente donc la tendance des épargnants à conserver une fraction de leurs avoirs sous forme monétaire. Ainsi, la monnaie peut être désirée pour elle-même, ce qui explique que la loi des débouchés n’est plus vérifiée et que des crises de sous-emploi deviennent envisageables.
Les agents économiques désirent détenir de la monnaie pour trois motifs : le motif de transaction, le motif de précaution et le motif de spéculation.
a) Le motif de transaction
Ce premier motif correspond à la fonction d’instrument de paiement de la monnaie. La monnaie est demandée pour faire face à l’absence de synchronisation entre la perception du revenu et le paiement des achats (« Une première raison de conserver de la monnaie est de combler l’intervalle entre l’encaissement et le décaissement du revenu »).
On retrouve ici le motif identifié par l’école de Cambridge, la monnaie est détenue seulement pour réaliser les transactions courantes, c’est-à-dire les achats courants de biens et services (nourriture, vêtements, …).
b) Le motif de précaution
Le motif de précaution renvoie à l’incertitude sur les dépenses qui peuvent être engagées dans le futur. La détention de monnaie s’explique par « Le souci de parer aux éventualités exigeant une dépense soudaine, l’espoir de profiter d’occasions non prévues d’achats avantageux et enfin le désir de garder un avoir de valeur nominale immuable pour faire face à une obligation future stipulée en monnaie… ».
L’encaisse pour motif de précaution correspond donc à la monnaie détenue pour faire face à des dépenses imprévues (maladie, accident, chômage, soldes, …).
Pour Keynes, ces deux premiers motifs déterminent une demande de monnaie transactionnelle. La demande de transactionnelle (Mt) est une fonction croissante du revenu national (Y).
c) Le motif de spéculation
Pour expliquer le motif de spéculation, Keynes suppose l’existence de deux types d’actifs : la monnaie et les obligations à taux d’intérêt fixe.
Les agents économiques vont effectuer des arbitrages entre monnaie et titres compte tenu de l’évolution (future anticipée) du taux d’intérêt. En effet, les agents économiques peuvent préférer garder leur épargne sous forme monétaire (la monnaie est un actif non rémunéré mais sans risque) plutôt que de la placer en obligations avec un risque de perte en capital.
La demande de monnaie des agents économiques pour motif de spéculation correspond donc à une épargne conservée sous forme monétaire compte tenu du niveau du taux d’intérêt.
L’encaisse (ou demande de monnaie) dépend donc des possibilités de réaliser des plus-values c’est-à-dire de tirer profit de l’évolution future du cours des obligations qui est en liaison avec l’évolution du taux d’intérêt.
Lorsque les agents économiques anticipent une hausse du taux d’intérêt, qui se traduira mécaniquement par une baisse future des cours des obligations, ils préféreront détenir de la monnaie qui ne rapporte rien mais dont la valeur nominale est constante, plutôt que de détenir des obligations qui seraient selon leurs prévisions source de perte en capital (moins-value).
Inversement, s’ils prévoient une diminution des taux d’intérêt, ils préféreront acheter des obligations dont les cours devraient d’accroître dans le futur. Il existe ainsi une relation mécanique inverse entre l’évolution du taux d’intérêt et celle du cours des obligations.
Exemple :
Un agent économique achète une obligation dont la valeur nominale est de 2000 € avec un taux de coupon de 5%.
Si l’agent économique veut vendre cette obligation quelques mois plus tard mais que les taux d’intérêt ont augmenté et que le taux de coupon de l’obligation sur le marché est de 6%, il sera obligé de réduire le prix de vente de l’obligation pour la rendre aussi attrayante aux yeux de l’acheteur que les autres obligations ayant la même valeur nominale mais un taux de coupon plus élevé.
Donc dans le cas de l’obligation dont le taux de coupon est de 5%, il faudra la vendre à 1666,66 € pour que le rendement actuel atteigne celui d’une obligation dont le taux de coupon est de 6% :
Soit Pt le prix d’une obligation, C son revenu (coupon) annuel et i son rendement (taux d’intérêt), nous pouvons écrire :
Pt = C /i ou i = C / Pt
Dans notre exemple : Pt = 5% × 2000/6% = 1666,66 €
Le prix de l’obligation a baissé suite à l’augmentation des taux d’intérêt.
Pour Keynes, le montant d’épargne est déterminé par le revenu mais le taux d’intérêt joue un rôle déterminant dans l’affectation de cette épargne entre obligations et monnaie.
On a :
MS = L2(i)
- La partie verticale de la courbe de demande de monnaie pour motif de spéculation est confondue avec l’axe des ordonnées et correspond à une unanimité des opinions (uniformité des anticipations) sur la baisse future du taux d’intérêt.
Le taux iM est le taux d’intérêt maximum à partir duquel les agents économiques ne peuvent que prévoir une baisse du taux d’intérêt futur et donc une hausse des cours des obligations. Ils ne souhaitent plus détenir de détenir de monnaie pour motif de spéculation, les agents ont une préférence absolue pour les obligations, sources selon eux de plus-values.
- La partie horizontale de la courbe correspond à une unanimité des opinions (uniformité des anticipations) sur la hausse future du taux d’intérêt.
Le taux im est le taux d’intérêt minimum à partir duquel l’ensemble des agents ne peut qu’anticiper une hausse du taux d’intérêt et donc une baisse des cours des obligations. Cette partie de la courbe correspond à ce que Keynes appelle la trappe à liquidité, la préférence des agents pour la monnaie est absolue.
- La partie intermédiaire de la courbe (entre le taux d’intérêt maximum et le taux d’intérêt minimum) correspond à la zone de spéculation (situation la plus courante). Les anticipations des agents économiques sont différentes, certains estiment que le taux d’intérêt va baisser, d’autres qu’il va augmenter.
En règle générale, les agents ne sont jamais absolument certains de leurs prévisions et chercheront le plus souvent à détenir à la fois de la monnaie et des obligations selon des proportions variables.
Les agents non financiers arbitrent entre monnaie et obligations en fonction du niveau du taux d’intérêt courant et du taux d’intérêt anticipé ou futur.
En conclusion, la demande de monnaie pour motif de spéculation est une fonction décroissante du taux d’intérêt dans la partie intermédiaire (oblique).
Cette demande de monnaie pour motif de spéculation est particulièrement instable puisqu’elle dépend des anticipations des agents économiques qui par définition sont instables.
La demande de monnaie globale est égale à :
L = Mt + Ms = L1(Y) + L2(i)
La demande de monnaie globale est déclarée vers la droite, car la demande de monnaie pour les motifs de transaction et de précaution (pour motif transactionnel) est ajoutée à la demande de monnaie pour motif de spéculation.
2. La détermination du taux d’intérêt
Pour les classiques le taux d’intérêt est considéré comme une variable réelle : le taux d’intérêt est déterminé au niveau de la sphère réelle par la confrontation de l’offre des fonds prêtables (l’épargne) et la demande des fonds prêtables (l’investissement).
Pour Keynes et à l’inverse des classiques, le taux d’intérêt est une variable monétaire : il est déterminé au niveau de la sphère monétaire (marché de la monnaie) par la confrontation de la demande de monnaie et de l’offre de monnaie.
Lorsqu’on se situe au niveau de la partie intermédiaire de la courbe de demande de monnaie globale, une augmentation de l’offre de monnaie par les autorités monétaires (politique monétaire expansionniste) se traduit, toutes choses égales par ailleurs, par une baisse du taux d’intérêt d’équilibre.
Et une diminution de l’offre de monnaie (politique monétaire restrictive) se traduit par une hausse du taux d’intérêt d’équilibre.
Lorsque l’économie se situe en dehors de la trappe à liquidité, Keynes démontre qu’une politique monétaire expansionniste se traduit par une baisse du taux d’intérêt et a ainsi un impact positif sur les variables réelles :
En effet, en agissant sur le taux d’intérêt, la politique monétaire modifie la décision d’investissement. Selon Keynes, la dépense d’investissement obéit à deux déterminants :
- Le taux d’intérêt qui dépend de l’offre de monnaie de la banque central, et qui représente pour l’entrepreneur le coût de financement de l’investissement
- Le profit escompté ou « efficacité marginale du capital » (notion introduite par Keynes) : l’efficacité ou rentabilité est fonction des investissements déjà réalisés. Les plus rentables sont réalisés en premier. Ainsi, l’efficacité marginale diminue quand la quantité d’investissement augmente. Pour un taux d’intérêt i donnée, tous les projets d’investissement dont l’efficacité e est supérieure à ce taux seront réalisés. L’entrepreneur fait donc une comparaison entre e et i et, quel que soit la situation financière de l’entreprise, l’investissement est réalisé si e > i.
Une politique monétaire expansionniste ou augmentation de l’offre de monnaie par la banque centrale va donc se traduire par une baisse du taux d’intérêt, toutes choses égales par ailleurs (e constant), une augmentation du rapport e/i et donc une hausse de l’investissement qui va se traduire à son tour par une hausse de la production et donc du revenu.
Par contre, la politique monétaire est inefficace si l’économie se situe au niveau de la trappe à liquidité parce que le taux d’intérêt est à son niveau le plus bas et ne peut donc plus baisser.
Dans une telle situation, il faut donc, selon Keynes agir directement sur la demande à travers les dépenses publiques en utilisant la politique budgétaire.
Dans une situation de trappe à liquidité, la politique budgétaire ne pourra pas être financée par la vente de titres sur le marché financier puisque les agents économiques ont une préférence absolue pour la liquidité. Il faudra donc avoir recours au financement monétaire de la politique budgétaire c’est-à-dire à la planche à billet.
Dans son analyse, Keynes accorde le premier rôle à la politique budgétaire dans la mesure où la politique monétaire accompagne la politique budgétaire.
Pour Keynes, une politique monétaire expansionniste constitue un complément utile à la politique budgétaire dans la mesure où elle neutralise l’effet d’éviction (l’accroissement de l’investissement public se fait au détriment de l’accroissent de l’investissement privé et se traduit par une hausse du taux d’intérêt). Par ailleurs, Keynes met fin, grâce à une variable clé, le taux d’intérêt, à la vision dichotomique des auteurs qui l’ont précédé d’une part, et d’autre part à la neutralité de la monnaie. Mais la remise en cause par Keynes de la théorie quantitative de la monnaie ne s’est pas traduite par sa mise à l’écart définitive.
Vous pouvez aussi consulter :