La théorie quantitative de la monnaie

La théorie quantitative de la monnaie

La théorie quantitative de la monnaie. (Sciences économiques)

Du 16ème siècle au début du 20ème, les économistes libéraux (classiques et néo-classiques) ont pour la plupart adopté une analyse dichotomique, qui consiste dans la séparation stricte entre la sphère réelle (marché des biens et services) et la sphère monétaire (marché de la monnaie), et ont donc conclu au principe de la neutralité de la monnaie.

La théorie quantitative de la monnaie découle principalement de l’analyse classique. Cette analyse repose sur la loi des débouchés de Jean-Baptiste Say.

1. La loi des débouchés

La théorie quantitative de la monnaie
Jean-Baptiste Say

Dans son « Traité d’Économie Politique » publié en 1803, Jean-Baptiste Say, économiste classique Français, avance l’idée selon laquelle l’offre crée sa propre demande. Il ne peut donc pas y avoir sur ou sous-production puisque tout ce qui produit est vendu :

  • « Pour une marchandise qui est offerte sur le marché, des salaires ont été versés à ceux qui ont contribué à la production de cette marchandise. Ces salaires vont être dépensés, ils serviront à acheter d’autres marchandises, ou même celle-là ; de nouveaux revenus seront ainsi payés et, en fin de compte, la marchandise offerte – à condition qu’elle corresponde à un besoin réel – trouvera sa propre demande ».

Dans la « loi des débouchés », la monnaie est donc utilisée seulement comme moyen de paiement. La monnaie n’est donc pas demandée pour elle-même mais pour ce qu’elle est susceptible d’acheter. Comme l’écrit Jean-Baptiste Say, « l’argent n’est qu’un office passager (…) et, les échanges passés, il se trouve qu’on a payé des produits avec des produits ».

Il y a donc un équilibre qui ne dépend en aucune manière du marché de la monnaie dont le seul rôle est de fixer le niveau général des prix. La monnaie n’influence donc pas le fonctionnement de la sphère réelle. Les classiques comparent la monnaie à un voile (idée avancée par Adam Smith) qui recouvre les phénomènes économiques réels mais ne les modifie pas.

La neutralité de la monnaie chez les classiques est donc illustrée par la formule « la monnaie est un voile ». La neutralité de la monnaie revient à nier la fonction de « réserve de valeur de la monnaie ». Dans la mesure où elle n’est qu’un instrument de règlement, le seul motif de détention de la monnaie est donc le motif de transaction.

Dans la sphère réelle :

  • Le volume de production globale est déterminé par la loi des débouchés de Say et ;
  • Les valeurs d’échange, ou prix relatifs des produits entre eux, sont déterminées par la quantité de travail nécessaire pour les produire (théorie de la valeur travail).

Dans la sphère monétaire :

La quantité de monnaie va déterminer le niveau général des prix, c’est-à-dire les prix absolus exprimés en unité de compte sans influencer les prix relatifs des marchandises fixés au niveau de la sphère réelle.

Par conséquent, « la mise en circulation de moyens de paiement supplémentaires ne peut que faire augmenter dans les mêmes proportions tous les prix absolus », laissant inchangés les prix relatifs et le volume de la production (David Ricardo et David Hume).

2. La formulation de la théorie quantitative de la monnaie

L’idée centrale de la théorie quantitative de la monnaie (précurseurs : Jean Bodin 1568, mercantiliste Français ; David Hume 1752 et Richard Cantillon, économistes classiques) est que le seul rôle de la monnaie est de fixer le niveau général des prix.

La théorie quantitative de la monnaie a été formulée pour la première fois en 1911 par l’économiste et mathématicien américain Irving Fisher.

Une seconde formulation émane de deux économistes anglais appartenant à l’école de Cambridge : Alfred Marshall, 1922 et Arthur Cecil Pigou, 1917.

a) La formulation de Irving Fisher (approche par les transactions)
La théorie quantitative de la monnaie
Irving Fisher

Fisher avance que « dans chaque vente ou achat, la monnaie et les biens échangés sont, ipso facto, équivalents ».

Un agent économique qui vend un bien reçoit donc de la monnaie pour un montant égal au prix de ce bien. Par exemple, la monnaie qui a payé la voiture est équivalente au prix (ou à la valeur) de la voiture achetée.

Donc le total de la monnaie reçue est égal à la valeur totale des biens échangés

Les n biens xi échangés pendant une année, ∑ xi, représentent le volume global des transactions appelé T

Les n prix pi des biens échangés ∑ pi représentent le niveau général des prix (ou moyenne pondérée des prix) noté P

La valeur globale des échanges ∑ pi xi peut ainsi être notée PT.

Exemple :

Au cours d’une période donnée, ont été réalisées les transactions suivantes :

3 voitures au prix unitaire de 10 000 euros ; 4 bicyclettes au prix unitaire de 200 euros ; 6 vaches au prix unitaire de 1500 euros et 5 moutons au prix unitaire de 300 euros.

On a :

∑ pi xi = p1x1 + p2x2 + p3x3 + p4x4

= (10 000 × 3) + (200 × 4) + (1500 × 6) + (300 × 5)

= 41300

Et ∑ xi = T = 18

On a : ∑ pi xi = PT

D’où P = ∑ pi xi/T = (∑ pi xi/∑ xi) = ((10 000 × 3) + (200 × 4) + (1500 × 6) + (300 × 5))/18

= 2294,4444

∑ pi xi = PT = 2294,4444 × 18 = 41300

Ces échanges ont donc été réglés par des paiements d’un montant égal à PT.

Les mêmes moyens de paiement vont été utilisés plusieurs fois au cours de l’année.

La quantité de monnaie disponible notée M va donc être utilisée pour ce paiement et pour plusieurs autres paiements.

Si on note V la vitesse de circulation de la monnaie, les dépenses monétaires se sont élevées pour l’année à MV.

Et puisque qu’on part de l’hypothèse que :

La valeur des biens échangés est nécessairement égale à la valeur des livraisons de monnaie, on peut écrire l’égalité suivante qui constitue la formulation de base de l’équation de Fisher :

MV = PT

  • M représente la masse monétaire (au sens de moyens de paiement, c’est-à-dire monnaie fiduciaire ou M1)
  • V désigne la vitesse transaction de circulation de la monnaie, c’est-à-dire le nombre de fois par unité de temps qu’une unité de monnaie est utilisée dans une transaction, soit le nombre de transactions effectué en moyenne, au cours d’une période donnée, par une unité monétaire. V désigne également la vitesse revenu de circulation de la monnaie, calculée par rapport au PIB (ou au revenu).

À titre d’exemple, si au cours d’une période donnée la masse monétaire nationale est de 2000 euros et si la valeur des transactions (PT) est de 8000 euros, la vitesse transaction de circulation de la monnaie est égale à 4 :

V = PT / M = 8000/2000 = 4

Cela signifie que, pour financer les transactions de l’économie, le stock de monnaie a été utilisé 4 fois. Donc l’ensemble des transactions ne peut être effectué que si chaque unité monétaire a été utilisée en moyenne 4 fois.

La définition la plus simple et la plus opérationnelle de la vitesse de circulation est celle où l’on considère que le volume des transactions échangé est égal au PIB (Vitesse revenu de circulation de la monnaie).

On a :

V = PIB / M représente l’intensité d’utilisation de la monnaie.

Une baisse de V signifie alors que M croit plus vite que le PIB (à prix courant), c’est-à-dire que la monnaie est utilisée avec moins d’intensité dans les échanges.

Tandis qu’une hausse de V signifie que la croissance du PIB est supérieure à celle de M, c’est-à-dire que la monnaie est utilisée avec plus d’intensité dans les échanges.

La notion de vitesse revenu de circulation de la monnaie permet d’introduire celle de demande de monnaie : une augmentation de V traduit une hausse de la demande de monnaie et inversement.

Des travaux empiriques, effectués sur des périodes extrêmement longues, ont identifié les quatre déterminants économiques principaux de la demande de monnaie :

  • La production, les revenus et les prix (corrélation positive)
  • Les taux d’intérêt (corrélation négative)
  • P correspond au niveau général des prix.
  • T désigne le volume des transactions (c’est-à-dire l’ensemble des transactions réalisées durant une période de temps donnée : opérations portant sur des biens et services, sur des achats de consommations intermédiaires ou encore de rémunérations des facteurs de productions, opérations financières, réalisées au sein de l’économie au cours d’une période de temps donné (généralement une année).

À partir de l’identité comptable MV = PT (ou MV = PIB à prix courants), et de trois hypothèses, Irving Fisher établit une relation de causalité entre la quantité de monnaie en circulation et le niveau général des prix.

Les hypothèses sont les suivantes :

  • La stabilité à court terme de la vitesse de circulation de la monnaie (V constant). Cette première hypothèse suppose que les comportements monétaires sont stables et prévisibles et se modifient donc très peu à court terme.
  • Le plein emploi des capacités de production : T est constant, et déterminé au niveau de la sphère réelle. Ce postulat découle de la loi des débouchés selon laquelle l’offre crée sa propre demande.
  • Les autorités monétaires maîtrisent parfaitement la masse monétaire : caractère exogène de l’offre de monnaie.

Étant donné que les variables V et T sont données et stables, toute variation de la part des autorités monétaires de la quantité de monnaie en circulation se traduit nécessairement par un changement proportionnel du niveau général des prix.

Par exemple, si M triple, V et T étant constants, alors P va tripler aussi, car l’ajustement ne peut s’effectuer que par une hausse proportionnelle des prix.

Par conséquent, selon Fisher, tout accroissement de la quantité de monnaie en circulation à des fins de relance de l’activité économique ne peut-être que source d’inflation.

Fisher reprend ainsi les deux points évoqués par les classiques :

  • L’approche dichotomique ou la séparation stricte entre la sphère réelle et la sphère monétaire et,
  • La neutralité de la monnaie

Le lien, entre masse monétaire et prix, établi par Fisher est purement mécanique. L’auteur ne montre nullement par quel mécanisme une variation de l’offre de monnaie induit une variation des prix.

L’école de Cambridge va apporter une réponse à ce sujet en faisant apparaître pour la première fois la notion de demande de monnaie.

b) Formulation de la demande de monnaie de l’école de Cambridge (Analyse par les encaisses)
la demande de monnaie de l'école de Cambridge
Alfred Marshall

L’apparition pour la première fois de la notion de demande de monnaie est liée à l’école de Cambridge. Alfred Marshall et Arthur Cecil Pigou, transforment l’équation des échanges de Fisher en une fonction de demande de monnaie.

Pour ces auteurs, les agents économiques cherchent à détenir de la monnaie pour faire face à l’absence de synchronisation entre la perception de leur revenu et leurs dépenses. Les agents économiques expriment ainsi une demande de monnaie ou demande d’encaisses réelles qui se présente sous la forme suivante :

MD / P = k Y (ou MD = k PY)

  • MD : demande de monnaie
  • P : niveau général des prix
  • (MD / P) : demande d’encaisses réelles
  • k : part du revenu réel que les agents économiques cherchent à détenir sous forme de monnaie (il est possible d’en déduire que k = 1/V : avec V vitesse revenu de circulation de la monnaie).
  • Y : revenu réel
  • L’encaisse réelle désirée (MD / P) est une proportion constante k du revenu réel Y. Le coefficient k représente la disposition des agents économiques à conserver en moyenne un certain pourcentage de leur revenu réel sous forme monétaire.

Cela veut dire que les agents économiques définissent leurs besoins de monnaie non en termes nominaux mais en termes réels, c’est-à-dire qu’ils désirent détenir sous forme de monnaie un certain pouvoir d’achat.

En se basant sur ce raisonnement, Pigou va expliquer le lien causal entre monnaie et prix à travers le mécanisme appelé effet d’encaisses réelles ou effet Pigou :

  • Partant d’une situation d’équilibre (c’est-à-dire d’un niveau d’encaisses réelles désirées donné), si l’offre de monnaie augmente (Ms), les agents économiques perçoivent de la monnaie supplémentaire, à niveau de prix inchangé, cela accroît leurs encaisses réelles (MD/P augmente).
  • Les agents, qui jusque-là détenaient des encaisses à un niveau qu’ils jugeaient satisfaisant pour assurer leurs transactions, se retrouvent avec des encaisses réelles excédentaires. Ils dépensent cet excédent sur le marché des biens et services, pour ne garder que l’encaisse réelle désirée.
  • Ce comportement entraîne un accroissement de la demande de biens et services. Comme on est en situation de plein-emploi des facteurs de production, il n’est pas possible de produire plus, et la pression sur la demande va donc entraîner une augmentation des prix.
  • Cette hause des prix réduit la valeur réelle des encaisses monétaires détenues par les agents économiques jusqu’au moment où les encaisses réelles retrouvent leur valeur initiale.

Pigou explique ainsi le mécanisme par lequel une modification de la quantité de monnaie entraîne seulement une modification des prix.

En conclusion, l’école de Cambridge reprend le principe de la neutralité de la monnaie développé par les classiques et Fisher. Mais l’école de Cambridge se distingue de ses prédécesseurs, en formulant pour la première fois une demande de monnaie qui est une fonction croissante du revenu réel, et en expliquant le mécanisme par lequel une variation de la masse monétaire influe uniquement sur le niveau général des prix.

Cette approche traditionnelle de la demande de monnaie qui s’appuie sur des hypothèses hautement restrictives (stabilité à court terme de la vitesse de circulation de la monnaie, plein emploi des facteurs de production) et écarte des variables clés tels que le taux d’intérêt, a été fortement critiquée et remise totalement en cause par Keynes.

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Ayoub Matioui

Économiste de formation et professeur d'économie ; avec l'aide de mon équipe, nous aidons les étudiants et élèves en difficulté concernant la compréhension des cours entretenus en classes. Aussi, nous mettons en place une stratégie d'orientation pour les étudiants souhaitant développer leurs connaissances acquises et voulant se projeter dans le monde de la communication et de l'information.

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