La pensée économique de l'Islam

La pensée économique de l’Islam

La pensée économique de l’islam (résumé de cours).

La pensée économique de l’Islam (du VIIIème au XVème siècle)

Université Al Quaraouiyine
Université Al Quaraouiyine
  • Malgré les efforts entrepris par quelques auteurs depuis les années 1960, la pensée économique de l’Islam demeure encore de nos jours largement, méconnue. Est-ce alors la non-scientificité de la pensée économique de l’Islam qui peut justifier cet oubli ?
  • Il est vrai que la pensée économique de l’Islam, ne relève pas de la science économique au sens auquel on a l’habitude de l’entendre aujourd’hui, c’est-à-dire d’une science autonome par rapport aux autres sciences et également par rapport aux idéologies, doctrines, systèmes politiques ou philosophiques.
  • La pensée islamique est indissociable de la théologie, de l’histoire et de la philosophie de l’histoire. Mais la pensée grecque est aussi intimement liée à la philosophie. Or ces périodes de la pensée économique préscientifique figurent en bonne place dans la plupart des manuels d’histoires de la pensée économique. Il n’en est pas de même pour la pensée économique de l’Islam !
  • L’apport de l’Islam à l’économie s’est fait en trois temps : redécouverte et traduction de textes grecs, puis adaptation et islamisation de la pensée Grecque, et enfin, dépassement par des apports nouveaux. Seuls quelques exemples illustrant ce dernier point seront repris ici : le cas des finances publiques, le cas des cycles économiques et le cas de la monnaie et des prix.

Les finances publiques : Dès le VIIIème siècle

Al-Muqaffa
Ibn al-Muqaffa
  • Plusieurs problèmes seront abordés par les auteurs arabo-musulmans : ceux de l’impact des recettes fiscales, du rôle des dépenses et du déficit public : « Trop d’impôt tue l’impôt »
  • Al-Muqaffa (720-756/757) dénonce l’oppression fiscale dont sont victimes les paysans. L’agriculture n’est peut-être pas une source de richesse comparable au commerce maritime, mais elle n’en demeure pas moins encore le principal fondement de l’économie en ce siècle. L’État doit préserver cette activité de tout atteint nuisible au développement de sa production.
  • Abu Yousuf, Al-Dimashqi et Miskawayh (932-1030) ne disent pas autre chose. Ce dernier décrit les multiples effets externes négatifs dus aux paysans qui abandonnent la terre et observe qu’avec la diminution du surplus agricole, le produit de l’impôt déjà en baisse ne parvient même plus au pouvoir central.
  • De même Al-Mawardi (974-1058) recommande de ne pas tuer la matière imposable.
  • Al-Turtushi (1059-1126) préconise la nécessité d’imposer chacun selon sa capacité contributive.
  • Ibn Khaldoun (1332-1406) plaide également dans ce sens, tout en replaçant ses observations au cœur d’un cycle des finances publiques.

Le rôle des dépenses publiques et du déficit public

  • Le Trésor doit prendre en charge toutes sortes de travaux publics, dit Abu Yousuf. Mais son raisonnement va plus loin : jusqu’où peut-on développer ces travaux qui finalement accroissent les recettes fiscales ?

Rép : jusqu’ à ce qu’ils génèrent des externalités négatives qui feraient baisser le Kharaj (l’impôt foncier).

  • Le bon emploi des recettes fiscales, c’est également le souci d’Al-Turtushi qui préconise de procéder à des dépenses d’intérêt collectif : « ce qui sera prélevé, sera dépensé de telle sorte que le bénéfice qui en sera retiré retombe sur les sujets eux-mêmes »

Que faire si le Trésor a besoin de fonds ?

  • Al-Mawardi propose le déficit, l’endettement public, suggérant ainsi un rejet de la charge du remboursement sur les générations futures. Contraint par les nécessités financières, Al-Mawardi présente une vision moderne des finances publiques, à deux doigts du principe du budget cyclique, c’est-à-dire de la recherche de l’équilibre budgétaire sur plusieurs années à défauts de le réaliser sur un an.
Al-Ghazali
Al-Ghazali
  • Al-Ghazali (1058-1111) admet la possibilité d’un emprunt public sous deux conditions : que la situation le justifie, et que les ressources de l’État en permettent le remboursement ultérieur.
  • Pour Ibn Khaldoun (1332-1406), l’augmentation des dépenses publiques accompagne la complexité croissante de l’État. Il fait des dépenses publiques un rouage important du circuit économique. Du fait du poids de ses dépenses, l’État apparaît comme un acteur prépondérant sur la scène économique et sociale : l’accent est mis sur le rôle moteur de la demande de l’État dans le circuit économique.
  • L’argent prélevé par l’impôt doit revenir dans le circuit économique, c’est-à-dire aux consommateurs afin d’entretenir la demande privée, et par suite la production. Si la redistribution est insuffisante, elle engendre un ralentissement de l’activité économique qui réduira à son tour les recettes fiscales.

Chez Ibn Khaldoun, la notion de multiplicateur keynésien n’est pas très loin !

Les cycles économiques

  • Dans « l’histoire de Būyides », Miskawayh (932-1030) pressentait déjà l’existence de tels cycles. Al-Biruni (973-1050) précisera un peu plus la notion.
  • Les phases du cycle commenceront à être décrites par Abu Bakr Al-Turtushi (1059-1126) dans son ouvrage «Siraj al-Muluk» qui distingue néanmoins très nettement les phases de prospérité et les phases décadence. Il n’indique pas explicitement les causes ni les modalités du retournement. L’auteur réunit les éléments nécessaires, mais ne les utilise pas pour construire une dynamique de l’évolution économique ; Ibn Khaldoun s’en chargera.

L’analyse dynamique des cycles d’Ibn Khaldoun

Ibn Khaldoun
Ibn Khaldoun
  • Ibn Khaldoun envisage le devenir de la civilisation dans sa totalité économique, politique, sociale et culturelle. Les cycles populations-production et finances publiques qu’il décrit sont réintégrés dans une remarquable dynamique d’ensemble. Dans un premier temps, l’interdépendance des phénomènes donne lieu à un processus cumulatif expansionniste, composé de relations réciproques entre population et production.
  • L’analyse d’Ibn Khaldoun réunit tous les principaux éléments explicatifs d’une théorie de la croissance : croissance démographique, division du travail, progrès technique, gain de productivité, ainsi que la nécessité pour l’État de respecter la liberté de chacune, tant en matière de profit individuel que de propriété privée. Inversement toutefois, ces mêmes éléments peuvent engendrer un processus cumulatif à la baisse : c’est la phase de dégradation économique et politique (Phénomène de récession).
  • Ibn Khandoun propose même une explication très moderne du retournement qui survient au terme de la période d’expansion. La croissance engendre des effets négatifs (externalités négatives) :
  1. Processus de développement déséquilibré au bénéfice des grandes cités qui attirent travailleurs et commerces au détriment des petites villes (une sorte d’effet d’agglomération).
  2. Surpopulation relative et épidémies dans les grandes métropoles.
  3. Effets du gout du luxe (accroissement inconsidéré des dépenses privées et publiques, déficits et endettements privés et publics).
  • Cette croissance déséquilibrée entre les secteurs des biens de consommation et celui des investissements publics et privés, liée à la dégradation des finances publiques, finit par générer une phase de décadence économique et politique et la chute de la dynastie.

La monnaie et les prix

  • Les auteurs arabo-musulmans ont repris l’analyse des fonctions de la monnaie de la pensée grecque, et plus précisément celle d’Aristote. Mais leur réflexion, nourrie par l’observation des faits, s’est très vite portée sur les incidences économiques et sociales de la circulation monétaire.
  • Al-Ghazali Abu Hamid (1058-1111) dénonce la circulation d’une monnaie contrefaite à côté des bonnes pièces. Il rejette cette mauvaise monnaie, mais admet cependant qu’elle soit tolérée sur le marché, pour des raisons pratiques, à condition d’en informer les détenteurs.
  • Ibn Taymiyya et Ibn Qayyim al-Jawziyya (1292-1350), condamnent les pratiques répétées de dégradation des monnaies, ainsi que leur frappe trop importante.
  • Al-Tilimsani (1310-1370) s’élève également violemment contre ce fléau de l’époque, le faux-monnayage et l’altération des monnaies.
  • Enfin Al-Maqrîzî (1364-1445) observe et note la disparition progressive des dirhams d’argent, puis celle des dinars d’or, laissant bientôt la place à la seule monnaie de cuivre. Parmi les raisons invoquées, outre la thésaurisation, il cite les raisons commerciales, mais la véritable cause dont il met en avant, est la crise économique et sociale du pays (l’Égypte), et la gestion calamiteuse des finances publiques. Il annonce la future loi de Gresham (1519-1579). Toutefois, son approche est plus poussée que celle d’Ibn Taymiyya ou de Gresham. Comme eux, il formule un comportement de substitution entre bonne et mauvaise monnaie. Mais il va proposer une explication qui va au-delà de la simple reconnaissance d’un phénomène lié à la seule psychologie monétaire des individus.
  • La crise politico-économique et la mauvaise gestion des finances publiques sont les vrais responsables de la fuite et de la disparition des métaux précieux. L’explication d’Al-Maqrizi dépasse donc la simple dimension monétaire.

La relation monnaie-inflation

  • Les pratiques répétées de dégradation des monnaies, ainsi que de leur frappe trop importante, amènent des auteurs comme Ibn Taymiyya, à réfléchir sur les implications de cette politique. Ibn Taymiyya met en évidence une relation à respecter entre masse monétaire et volume de transactions, sous peine de voir diminuer le pouvoir d’achat de la monnaie et donc de porter préjudice à la population.
  1. Vitesse de circulation différenciée des marchés
  2. (O et D de monnaie et phénomène d’inflation)
  • Al-Maqrizi s’interroge sur la hausse des prix qu’il observait. Il distingue deux séries de causes. Les premières sont naturelles ou extra économiques, mais les causes véritables sont toutes autres : il s’agit de la corruption à tous les échelons de la société, de l’augmentation de la rente, et de l’augmentation de la circulation monétaire.

La solution préconisée par l’auteur est de revenir à un système d’étalon d’or.

  • Al-Maqrizi propose une première expression de «la théorie quantitative de la monnaie » en reliant les prix à la circulation monétaire, (précurseur de Jean Bodin). Son analyse va même beaucoup plus loin, puisqu’il s’intéresse également aux effets de l’inflation : inégalités sociales et régression économique.
  • Avant lui, Ibn Taymiyya pointait la désorganisation du commerce liée à la multiplication des pièces altérées et à l’inflation (excès offre monnaie et inflation)
  • De même, Al-Tilimsani observait les trois phénomènes suivants, qu’il relie parfaitement :
    • L’intense circulation des monnaies altérées a évincé la bonne monnaie d’or ou d’argent ;
    • Cette grande quantité de mauvaise monnaie provoque l’inflation ;
    • L’inflation finit par appauvrir ses victimes si on n’y prend grade.
  • Ibn Khaldoun, quant à lui, craint tout autant l’inflation que la déflation pour les effets négatifs sur l’activité économique, mais n’apporte pas vraiment d’éléments novateurs sur la relation monnaie-prix.

L’examen rapide de ces trois seuls thèmes : les finances publiques, les cycles économiques et les relations monnaie-prix, montre à quel point la réflexion arabo-musulmane, surtout à partir du XIIIe siècle, pouvait parvenir à une vision intégrée des phénomènes économiques et sociaux.

La contribution de l’Islam à l’élaboration de la pensée économique est réelle et novatrice dans bien domaines, mais l’Occident ne semble pas l’avoir intégrée dans sa quête de connaissance, comme il le fait pour la philosophie.

La réflexion de l’Islam dans le champ économique commencera malheureusement à s’estomper à partir du XIIIe siècle, pour s’éteindre définitivement au début du XVe siècle.

Ayoub Matioui

Économiste de formation et professeur d'économie ; avec l'aide de mon équipe, nous aidons les étudiants et élèves en difficulté concernant la compréhension des cours entretenus en classes. Aussi, nous mettons en place une stratégie d'orientation pour les étudiants souhaitant développer leurs connaissances acquises et voulant se projeter dans le monde de la communication et de l'information.

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